Norme sociale : protocole ou repère ?
Il est 10heures (*), et ce moment de la journée est, comme chacun sait, un temps fort dans le quotidien abruti d'un lycéen de base (et dans le quotidien de base d'un lycéen abruti de même): c'est la récré !
Comme à mon habitude je m'en vais retrouver des gens, parce qu'il faut bien montrer qu'on est pas seul au monde, même les jours où on préférerait s'emmurer plutôt que d'avoir à parler avec qui que ce soit. Oui mais la récré, c'est un grand moment de représentation sociale. Qu'on me croit ou qu'on me raille (**) il est mal vu de ne pas être dans sa meute. C'est en effet ce qui pousse les tocards les plus collants, vous savez ceux qu'on a rarement envie de voir, qui pour des raisons d'emploi du temps ne peut pas être dans son groupuscule, à venir vous parler, alors que même les gens que vous estimez vous voudriez les voir se taire (Toute ressemblance avec des événements ou des personnages réels serait, vraiment, mais alors vraiment, fortuite). Seul les plus désespérées des âmes en peines poussent le gag jusqu'à errer lamentablement 20 minutes durant avant de reprendre les cours. "A quoi bon vivre ?" peut-on lire sur leurs visages désespérés. Ce n'est pas ce qu'on peut lire sur mon visage désespéré, parce que je ne suis pas l'un d'entre eux. Sur ma face, les plus habiles lecteurs devinent quelque chose comme "mais pourquoi elle tient à me faire la bise ?".
Elle, c'est Jean-Robert, du moins c'est comme ça que j'appellerai ladite personne ici, pour des raisons évidentes. C'est parti pour 5 minutes de protocole, dont, honnêtement je me dispenserais bien. "Bonjour, bonjour" parfois, même moi, pourtant profondément sceptique, je m'aventure à un "ça va?" que je sais sans-réponse, tombé aux oubliettes. "C'est du protocole". Voila la conclusion que je tire à haute voix du pénible exercice des salutations adolescentes matinales quotidiennes. "Non, c'est de la politesse" dit Jean-Robert, qui sous une apparence de dinde (***) multicolore dissimule un réel tempérament de jeune à vocation intellectuelle.
Désarroi. Saluer les gens qu'on voit tous les jours dans des embrassades/empoignades interminables, n'est-ce qu'une perte de temps ? A vrai dire, les sociologues appellent ça des normes sociales acquises durant la socialisation et qui sont la traduction de valeurs. Je te dis bonjour, c'est une norme, parce que je te respecte, c'est une valeur. Je respecte la loi, c'est une norme, parce que je suis citoyen, c'est une valeur. Je vais à la messe tous les dimanches matin, c'est une norme, parce que j'ai la foi, c'est une valeur (et parce que j’ai que ça à faire et que je suis un peu bête, c’est une circonstance aggravante). Et ainsi de suite. Si l'individu ne respecte pas ces agissements, qui ne sont en fait que des règles de groupe, la société le punit : c'est la coercition. Je tue mon voisin, c'est un acte hors de la norme qui correspond à des valeurs inverses à celles de la société (la haine...), la société (l'Etat ici) me met en prison, c'est la coercition ; je ne rigole pas à tes blagues, c'est un acte qui n'est pas gentil, et en plus je refuse de te dire bonjour quand tu me tends la main, tu m'écartes de tes relations sociales, c'est la coercition.
Une fois ceci dit, qu'en concluons nous ? Pouvons nous nous passer de certaines normes ou non ? Suis-je condamné à répéter des milliers de fois les mêmes gestes chaque jour de mon existence ? Ou bien suis-je définitivement inapte à toute forme de vie sociale ?
(*) : Également valable pour celle de 4h
(**): les esprits acidulés et pétillants d'humour n'auront pas attendu ces notes pour se faire mentalement les blagues suivantes : "on me raille de chemin de fer" et sa variante "on me raille de cocaïne". Les plus taquins ont même osé "on me raille de Chine"
(***) Dinde (ici) : personnage de sexe féminin qui par son habillement et son comportement n'a pas peur du ridicule dans les regards lucides.
Libellés : Rien ne vaut ma vie, Triste monde tragique
8 Comments:
C'est petite relation sont certes peu passionnante mais sinon on ferai quoi pendant les récréations? Jouer à une console de jeu? Lire? :Pas le temps 15 mins c'est court. Écouter de la musique? Oui à la rigueur j'imagine que comme moi tu as pu observer des groupes de personnes discutant ensemble tous des écouteurs sur les oreilles. Eux ils ont mal comprit les normes. A moins qu'ils se soient libérés de certains de ces normes comme tu le suggères? Non...
C'est juste rassurant. Et moi qui ne suis ni avare de la main ni des joues et encore moi de la langue ça ne me dérange pas. Et parfois les échanges de sourires ça fait du bien après 2 heures de cours infligés par ma prof de Français. ^^
Mais une chose m'inquiéte tu parles (dans ce post uniquement) un peu comme ma prof d'eco! Vais-je parler comme ça dans un an? :p
C'est vrai tout ce que tu dis à propos des gens avec lse écouteurs etc... Cela dit, les salutations c'est peut être aussi juste un préliminaire dispensable à d'autres trucs comme la conversation (j'ai pas d'autre idée là mais ça viendra peut être XD). Ou alors peut être aussi que le temps qu'on passe à se dire bonjour c'est du temps qu'on passe pas à se rendre compte qu'on a vraiment rien à se dire. Enfin là je dresse pas une généralité je te parle de ce genre de personnes à qui tu as parlé trois fois dans ta vie et à qui tu te contentes aujourd'hui de leur serrer la main...
Bref, pas de solution
Autrement promis je vais me brider pour pas parler en prof d'éco, mais oui en effet il y a des probabilités pour que tu vires comme ça d'ici à l'an prochain, d'autant plus que les normes et les valeurs c'est à ton programme =P.
tu as raison, c'est d'un pénible !
je m'arrangeais souvent pour être dans les premiers, ou derniers (pas le temps d'embrasser tout le monde), puis finalement je lançais un "j"embrasse tout le monde" ou alors je n'embrassais que ceux que vraiment j'aimais bien. Mais ça ce n'est pas facile, pouraquoi en froisser tant pour si peu…
c'est ça, c'est le protocole, un code social , bref, ça se fait .
Je ne te consolerai pas en te disant que, pendant ce temps, il se passe exactement la même chose en salle des profs ... mais en doutais-tu ?
Tu fais comme nous, au lieu de dire "salut ça va schmack schmack", vous gueuler "GEOOOOOOORGES" le plus fort possible en levant les bras au ciel. Après tu peux faire une étude socio-psycho-normative rien qu'en observant la tronche des gens autour.
Il va falloir que tu t'intéresses aux aux notion de "Face Flattering Act" et de "Face Threatening Act" pour mieux cerner le phénomène que tu décris parfaitement ici, Hugo.
Tu as des chercheurs comme C. Béal, C. Kebrat-Orecchioni ou V. Traverso qui poursuivent dans la voie ouverte par Goffman sur l'ethos communicatif.
Et si tu te diriges vers le journalisme, se sont des sujets auxquels tu n'échapperas pas, camarade :-))
Bonjour Hugo, ça va ?
Certes, MAIS parfois entre deux "bonjour!" contraints, une surprise, un contact, une main sur une épaule, un véritable sourire, un moment partagé, et toute l'humanité est là..;
Même dans la salle des profs... !
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